Découvrez l'héritage de Brancusi
LE POISSON
Unique dans la série, ce poisson est placé dans une rainure creusée dans un socle en marbre blanc, ce qui permet de le retirer et de le réinsérer facilement, lui conférant ainsi une mobilité remarquable.
LE POISSONLUCIA BRANDL COLLECTION
10/29/20254 min temps de lecture


En examinant la série des Poissons, nous avons identifié une œuvre jusqu’à présent inconnue : un exemplaire en marbre noir traversé de fines veines blanches (Figure A 1-3), dont la forme, semblable à un arc d’ellipse, évoque le mouvement d’une nage à contre-courant sous-marine. Elle présente un rapport d’harmonie de 1 : 2,79 : 0,21 et se trouve aujourd’hui dans une collection privée à Paris.
Seule dans la série, cette sculpture est fixée dans une rainure taillée dans la partie en marbre blanc, ce qui lui confère une grande mobilité grâce à la possibilité de la retirer et de la réinsérer aisément. La différence de proportions entre cette pièce et les autres Poissons connus, ainsi que son mode de fixation, laissent penser que l’artiste n’avait pas encore mis au point une solution technique permettant d’attacher de manière stable un marbre relativement fin à son support.
La suspension de la sculpture, fixée sur un disque métallique ou un socle en marbre, lui permettait d’en allonger la forme, mais obligeait également à en augmenter légèrement l’épaisseur, d’environ 0,5 mm.
Un autre argument en faveur de l’hypothèse selon laquelle le Poisson en marbre noir serait le premier de la série réside dans les photographies des deux sculptures des Figures B et C : elles étaient d’abord suspendues sur un socle en marbre (fixation stable, non détachable) ; les versions suivantes en bronze ont abandonné ce dispositif, avant qu’il ne réapparaisse dans le grand Poisson en marbre bleu-gris.
Description du Poisson
en marbre noir (1920-1922)






Figures B
Figures C
Figure A-3
Figure A-2
Figure A-1
Le socle du Poisson en marbre noir présente par ailleurs une nouveauté remarquable : il se compose d’un ensemble de trois éléments formant une unité — à la base, un parallélépipède rectangle en marbre beige (signé C. Br), surmonté d’un cube de marbre noir de 4 cm, puis du support en marbre blanc veiné. L’ensemble donne l’impression d’un groupe de pierres de formes et de couleurs différentes, évoquant les roches parmi lesquelles évoluent les poissons.
Conclusions
Dans chacune des œuvres de la série des Poissons, on observe un nombre restreint d’éléments constitutifs, une exécution empreinte de minimalisme, ainsi qu’une forte dépendance au socle. Ce dernier, à la différence de la simplicité de la sculpture elle-même, est toujours soigneusement conçu et exécuté avec minutie. Il se compose soit d’un seul élément (en bois ou en marbre), soit de plusieurs parties (marbres de couleurs différentes ou combinés à la pierre).
Les socles présentent une hauteur relativement basse, car les poissons nagent près du fond, et le polissage du marbre ou du bronze évoque clairement l’univers aquatique.
Les sculptures sont fixées de manière rigide sur un support en marbre ou sur un disque métallique.
Elles ont été pensées pour suggérer le mouvement horizontal rapide du poisson dans son milieu naturel, mais aussi sa posture d’affût entre les galets du fond.
Pour atteindre cet effet, l’artiste a recours à plusieurs procédés techniques :
— un système d’attache réduit à un point ou une section minimale,
— l’utilisation de moyens mécaniques ou électriques destinés à mettre la sculpture en mouvement afin d’en souligner le volume et les reflets du bronze poli.
À ces procédés concrets, Brancusi ajoute deux manières d’induire mentalement l’idée de mouvement.
La première réside dans la forme aérodynamique du Poisson, perçant l’eau telle une torpille — comme on peut le voir sur les Figures A-3, D, E, où la ressemblance est frappante entre les deux sculptures (le Poisson en marbre noir, Figure A-3, et celui en marbre bleu-gris, Figure D) et une torpille de la Première Guerre mondiale conservée au Musée canadien de la guerre à Ottawa (Figure E).


Figure A-3
Figure D
Figure E
Figure A3 et D: Vue avant du poisson (1920-1922 et 1930); Figure E:Torpille de la Première Guerre mondiale
Qu’est-ce qui, mieux qu’une torpille, pourrait symboliser la vitesse et la pénétration dans un milieu ?
Brancusi, qui connaissait bien leur usage pendant la Grande Guerre, transpose ici cette référence mécanique dans le règne du vivant. Ainsi, même une créature aquatique peut traduire la même dynamique d’élévation que l’artiste développa avec virtuosité dans la série des Oiseaux : car tout objet, tout être, recèle des traits et des qualités qu’il faut savoir découvrir patiemment, en les observant sous des angles multiples.
Dans le cas de Brancusi, on observe un processus inverse de celui habituellement constaté : alors que, d’ordinaire, les hommes s’inspirent de la nature pour réaliser des performances techniques remarquables, Brancusi, lui, part des objets créés par l’homme pour remonter à leur origine, c’est-à-dire à la nature elle-même, à l’essence des choses.
Une autre dimension essentielle réside dans le choix des matériaux — le marbre veiné ou le bronze poli.
Ce dernier, par le jeu des incidences et des reflets de la lumière, par les alternances d’ombres et de clartés, crée l’illusion d’un mouvement pleinement dynamique.
En réalité, comme il l’a lui-même confié, Brancusi n’avait pas l’intention de sculpter le poisson, mais “son esprit” .
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