Découvrez l'héritage de Brancusi
Le Baiser de Brancusi ou la Route de Damas
- La révélation spirituelle d’un génie de la sculpture moderne
LE BAISERBRANCUSIANALYSE
10/31/20256 min temps de lecture


De tous les artistes visuels, Brancusi est le premier à avoir approfondi le thème du Baiser, auquel il est resté attaché pendant près de cinquante ans — une période durant laquelle il réalisa neuf sculptures en pierre et plusieurs moulages en plâtre, formant ensemble la célèbre série du Baiser.
L’année 1907 marque un tournant : il réalise La Tête d’une jeune fille (œuvre disparue), Le Baiser et La Sagesse de la Terre, des sculptures attestées parmi les premières exécutées en taille directe, sans esquisse ni mesure préalable.
Pour Brancusi, Le Baiser représente sa “route de Damas”, car il y atteint l’essence des choses.
L’expression « route de Damas » provient des Actes des Apôtres, où il est écrit que Saul (nom de l’apôtre Paul avant sa conversion) partit un jour pour Damas afin de persécuter les chrétiens. Sur la route, une lumière éclatante l’enveloppa soudain, provoquant sa conversion.
De même, seul Dieu connaît les visions que Brancusi a eues lorsqu’il sculpta dans la pierre l’immortel Baiser, symbole de l’amour transcendantal — œuvre qui l’éloigna de son mentor Rodin et de son Baiser, trop charnel et passionnel pour l’artiste roumain, désormais tourné vers la spiritualité.
En 1910, la sculpture fut envoyée en Roumanie pour participer à l’Exposition d’automne de la Société « Jeunesse artistique », sous le haut patronage de SAR la princesse Marie de Roumanie (14 novembre – décembre). Elle y figura sous le titre Fragment d’un chapiteau, sculpture en pierre.
Cependant, la notoriété internationale de Brancusi s’affirma après la présentation d’une variante en plâtre à l’Armory Show de New York, en 1913.
Série du Baiser en pierre
Le Baiser de 1907 constitue le point de départ d’une célèbre série brancusienne en pierre, qui s’achève avec La Borne frontière (1945).
Cette série a pu être reconstituée en croisant les données publiées par V. G. Paleolog, Mircea Deac, Sidney Geist, P. Hulten, Natalia Dumitrescu, Al. Istrati, Barbu Brezianu, F. T. Bach, Margit Rowell, Ann Temkin, ainsi que les informations fournies par les musées et galeries du monde entier qui conservent des œuvres de Brancusi (Figures A–I)














FIGURE A : Le Baiser, pierre de Marne, 1907 ; dimensions : 28,0 x 25,0 x 21,5 cm ; signé « Brancusi » à la base, non daté Musée d’Art Craiova)
Figure B : Le Baiser, calcaire gris, 1908 ; dimensions : 32,4 x 26,0 x 21,5 cm (Harold and Hester Diamond collection, New York)
Figure C :Le Baiser, calcaire, 1909 ; dimensions : 89,5 x 29,7 x 22,7 cm ; socle en calcaire aux dimensions : 155 x 64 x 33 cm ; signé « C. BRÂNCUŞI » sur le socle, daté sur le socle 191–1910 (Cimetière Montparnasse, Paris)
Figure D :Le Baiser, calcaire gris, 1912 ; dimensions : 58,4 x 33,7 x 25,4 cm ; signé « C. Brancusi », non daté (Musée d’Art de Philadelphie)
Figure E : Médaillon (Le Baiser), pierre volcanique, 1919 ; anneau double en acier ; dimensions : 58,5 x 47,5 x 9,3 cm (Centre Pompidou, Atelier Brancusi, Paris)
Figure F : Ébauche, calcaire, 1920 ; dimensions : 39,5 x 27 x 25 cm (Centre Pompidou, Atelier Brancusi, Paris)
Figure G : Borne frontière, calcaire gris et jaune, 1945 ; dimensions : 184.5 x 41 x 30.5 cm; non signé, non daté (Centre Pompidou, Atelier Brancusi, Paris)
Figure H : Le Baiser, calcaire jaune, 1940 ; dimensions : 71,8 x 35,2 x 25,9 cm (Centre Pompidou, Atelier Brancusi, Paris)
Figure I : Le Baiser, calcaire gris, 1923–1925 ; dimensions : 36,6 x 25,6 x 24 cm, signé et daté « C. Brancusi PARIS 1925 » (Centre Pompidou, Atelier Brancusi, Paris)
Le premier Baiser (Figure A), sculpté peu de temps après que Brancusi eut quitté l’atelier de Rodin — dont il fut le praticien du 24 mars au 27 avril 1907 — représente sa véritable déclaration d’indépendance vis-à-vis de son maître.
Par cette œuvre, Brancusi montre qu’il s’est totalement affranchi de l’influence du grand Rodin, sans pour autant diminuer le respect qu’il lui portait — Rodin ayant été l’une des raisons majeures qui l’avaient conduit à choisir Paris pour parfaire sa formation artistique.
Il manifeste cette indépendance avec éclat en choisissant le calcaire, une pierre simple, sans lustre, à la texture rugueuse, au lieu du marbre, matériau noble et raffiné.
Les dimensions choisies (hauteur 28 cm, largeur 25 cm, profondeur 21,5 cm) donnent à la sculpture une forme trapue, presque cubique, contrastant avec les proportions monumentales du Baiser de Rodin.
En renonçant aux détails, Brancusi s’oppose à la complexité et au réalisme rodiniens : là où Rodin évoque le mouvement et la passion, Brancusi inspire la stabilité, la durabilité et l’éternité.
Au début, Brancusi avait conçu un socle pour Le Baiser de 1907, comme on peut le voir sur une photographie prise dans son atelier parisien.
Il y renonça ensuite, pour affirmer que l’amour exalté et transcendantal n’a nul besoin d’un ancrage terrestre. Ainsi, à Bucarest, en 1910, il exposa la sculpture sans socle.
Les deux amants sont différenciés par la forme, la longueur et l’arrangement de leurs cheveux :
– l’homme, aux cheveux courts tombant sur le front ;
– la femme, aux cheveux longs et ondoyants, peignés vers la nuque, ce qui la fait paraître légèrement plus grande.
Ils se couvrent mutuellement les yeux, leurs lèvres sont scellées, et la poitrine de la femme presse doucement celle de l’homme.
Les yeux, légèrement creusés et arrondis dans la pierre, suggèrent que ceux de la femme sont ouverts, tandis que ceux de l’homme sont fermés.
Une série unique dans l’œuvre de Brancusi
Cette série est unique dans la création Brancusienne : elle comprend neuf sculptures en ronde-bosse, toutes taillées dans la pierre, avec des textures et des teintes variées (gris et jaune).
Elle forme un ensemble non homogène, comprenant :
un Baiser-stèle funéraire,
un Baiser-médaillon,
un Baiser-ébauche,
et un Baiser-colonne (ou Borne frontière).
Les sculptures réalisées entre 1907 et 1940 présentent des caractéristiques dimensionnelles communes :
la profondeur reste presque constante (écart maximal de 4,4 cm), la largeur varie peu (écart de 10,2 cm), tandis que la hauteur change de manière plus marquée (écart de 43,6 cm), sans altérer les traits essentiels.
Comparées au premier Baiser (1907), les œuvres suivantes sont de plus en plus épurées et stylisées.
Les yeux passent de contours en amande sculptés dans la pierre (Figure B) à une ligne semi-circulaire fusionnée, formant un œil cyclopique (Figures D, G, H et I).
Les bras s’aplatissent progressivement, s’effaçant presque dans la masse, tandis que la ligne de séparation entre les deux amants devient de plus en plus fine.
Variantes emblématiques
Une œuvre singulière et individualisée de la série est la sculpture-stèle placée sur la tombe de Tania Rachevskaïa (Figure C), au cimetière Montparnasse à Paris.
Cette version, environ trois fois plus haute que les autres, présente les corps des amoureux en entier, leurs pieds rappelant ceux de La Sagesse de la Terre (1907).
Pour des raisons de perspective, la sculpture fut posée sur un socle souple de 155 cm.
Le Médaillon-Baiser (Figure E) occupe une place particulière dans la série : probablement pensé par Brancusi comme un talisman, symbole d’amour et d’union éternelle.
La Borne frontière : un testament spirituel
La Borne frontière (Figure G ) constitue la dernière pièce de la série du Baiser.
Composée de trois blocs de calcaire superposés, elle porte sur chacune de ses faces le symbole du baiser gravé.
Cette sculpture peut être considérée comme le testament spirituel de l’artiste, achevé en 1945, à la fin d’une guerre qui l’avait profondément bouleversé.
La catastrophe nucléaire d’Hiroshima et de Nagasaki venait de se produire, et la Roumanie sortait de la guerre mutilée et divisée.
Brancusi, désormais plus solitaire, se montrait désabusé et en retrait, insatisfait du monde moderne où il ne trouvait plus sa place.
Ainsi, La Borne frontière apparaît comme une limite symbolique entre deux mondes :
d’un côté, celui de l’amour, de la beauté et de la création, où Brancusi connut la gloire entouré des plus grandes figures artistiques ;
de l’autre, un monde d’après-guerre incertain et désenchanté, qu’il pressentait sans pouvoir l’imaginer, mais dont il craignait déjà qu’il ne soit pas meilleur que celui d’avant.
---------------------------------
Articles similaires
Contact
Pour toute question, contactez-nous ici.
Suivez-nous
Abonnez-vous
© 2025. Tous Droits Réservés.
